Le naufrage de Marseille

Le naufrage de Marseille - Actualité - Discussions

Marsh Posté le 29-10-2005 à 17:22:23    

Le naufrage de Marseille
Il y a quelques perles, notament dans le premier article sur la CGT :
 
1. Editorial Par Yves Thréard
[29 octobre 2005]
 
La grève des traminots de la Régie des transports de Marseille (RTM) entre aujourd'hui dans son vingt-sixième jour et personne, en France, ne semble s'en indigner. Hors Jean-Claude Gaudin, le maire, peu de responsables politiques ont dénoncé ce nouveau scandale syndical. Comme si la cité phocéenne – si jalouse de sa singularité, c'est vrai – était considérée comme une ville à part en France. Résignés, les Marseillais, privés de métro et de bus, marchent. Et risquent de fouler le bitume encore quelques jours.
 
Le futur tramway de l'agglomération est au centre du conflit. Les grévistes refusent que son exploitation soit confiée à un tandem composé de la RTM, entreprise publique appartenant à la communauté urbaine, et d'une société privée, Connex, réputée pour son savoir-faire dans les transports de dizaines de villes. Cette dernière, sélectionnée après appel d'offres et sans être associée au capital, a une mission de gestion pour laquelle elle va dépêcher sur place trois cadres. Soutien dont la RTM, qui emploie 3 200 personnes, semble avoir grand besoin au regard de sa situation financière. En cinq ans, son déficit a progressé de 66%.
 
La CGT, majoritaire dans l'entreprise, ne l'entend pas de cette oreille et dénonce une privatisation rampante. Si l'amalgame est mensonger, le comportement de certains cégétistes est, lui, honteux. Depuis le début du mouvement, le nombre d'arrêts maladie parmi le personnel a doublé ; surtout, onze plaintes de salariés non grévistes ont été déposées au tribunal pour agression. Ce terrorisme syndical rappelle, bien sûr, celui constaté lors du récent conflit de la Société nationale Corse-Méditerranée.
 
Par son attitude jusqu'au-boutiste, la CGT marseillaise veut-elle prendre ici sa revanche sur l'échec de son précédent et pitoyable fait d'armes ? Sur le mode : une bataille perdue, pas la guerre. Elle contribue, en tout cas, à ruiner l'image de la deuxième ville de France, déjà victime de beaucoup de clichés. Grèves à répétition, luttes syndicales d'un autre âge, la bonne mère est souvent mauvaise fille. Marseille donne l'impression de vivre hors du temps, comme rétive au progrès économique.
 
Il serait pourtant injuste d'accabler la cité phocéenne. Le conflit de la RTM n'est que le reflet d'une réalité sociale bien française où règnent en maîtres l'archaïsme syndical et le dogmatisme. Que dire, par exemple, des syndicats de la SNCF qui viennent de refuser le versement de 160 euros à chacun des 180 000 cheminots de l'entreprise ? Explication : l'intéressement du personnel suppose des bénéfices, or, si bénéfices il y a, ils se font nécessairement sur le dos des travailleurs.
 
Tout est dit. Face à pareil argument, on comprend mieux la difficulté de réformer la France. Déjà faudrait-il pouvoir la préserver de ses mauvais penchants.
 
2. Michel Peraldi, sociologue, directeur de recherche au CNRS
 
Comment expliquez-vous le mouvement actuel de revendication à Marseille ?
 
Marseille est une ville de petits fonctionnaires, sans commune mesure avec aucune autre ville de France. Le premier employeur, c'est l'Etat. L'Assistance publique y apparaît comme une énorme machine. Durant les vingt dernières années, progressivement, le secteur public a comblé le creux laissé par l'effondrement de l'économie portuaire. Aujourd'hui, il y occupe le même rôle que Peugeot dans les villes du Doubs ou du Jura à une certaine époque. Les Marseillais veulent peut-être prouver quelque chose, eu égard à leur totale dépendance à l'Etat et à Paris.
 
D'un autre côté existe une solidarité dans la lutte. Car tous les habitants comptent au moins un fonctionnaire dans leur famille ou leurs relations, qui viennent élargir le cercle des manifestants.
 
Y a-t-il une spécificité des mouvements sociaux marseillais ?
La lutte y apparaît purement symbolique. On se garde bien d'y aborder des points négociables. La grève actuelle de la Régie des transports de Marseille (RTM) n'a pas d'enjeu. Les transporteurs savent qu'elle n'aboutira pas. La mairie ne fera que ce qu'elle peut, ou ce qu'elle veut sur la privatisation des tramways.
 
Marseille se sent ringarde, à contre-courant du sens de l'Histoire. Parce que c'est une ville pauvre, et parce que l'Etat y occupe une place très importante. A l'heure où la société valorise les "self-made-men", le fonctionnaire apparaît comme un privilégié décadent.
 
Alors, ces gens se réinventent ouvriers pour poursuivre l'histoire de la ville, où une composante anarcho-syndicaliste très forte s'est constituée dès la fin du XIXe siècle. Cette tendance a pu se maintenir en s'installant dans les administrations publiques. Ainsi, les mouvements sociaux marseillais prennent des formes de radicalisme soit archaïques, soit détonnantes par rapport à la tempérance ambiante.
 
La culture est imprégnée d'un certain panache, d'une amitié virile propre au mouvement ouvrier. La lutte s'y impose comme une sorte de rituel. Il faut qu'ait lieu, au moins une fois par an, une grande lutte à Marseille.
 
Pourquoi Marseille fait-elle l'objet d'une attention particulière ?
C'est une ville-test. A peine a-t-elle bougé un poil de cil que les projecteurs médiatiques se ruent sur l'événement. La capitale phocéenne est communément ressentie comme "la plus proche des villes lointaines". Lointaine pour son côté exotique, qui tient au soleil et à son ancrage dans le sud. La ville se trouve, en effet, au centre d'une zone très érogène, entre la Côte d'Azur et le Lubéron. Beaucoup de journalistes ont des relations dans la capitale phocéenne. Ils viennent souvent passer leurs vacances dans la région. C'est aussi l'odeur du réel et le brassage populaire qui attirent la presse. Il y a, à Marseille, une force de la réalité que l'on ne trouve plus dans les autres villes. La population française, en revanche, semble moins touchée par les fluctuations de la ville. Cela dit, une certaine classe moyenne parisienne y reste attentive. Les réseaux parisiens sont très importants dans la région.
 
Ces mouvements s'inscrivent-ils dans un contexte de rivalité avec Paris ?
Contrairement aux idées reçues, si Marseille se trouve dans un rapport de rivalité, ce serait plus avec les autres villes de province, comme Nice ou Cannes, qu'avec la capitale. Les Marseillais ont intégré leur importance médiatique. Ainsi, les syndicats se paient de temps en temps le luxe d'une lutte très radicale dans la ville, d'autant plus engagée qu'ils cèdent à la base.

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Marsh Posté le 29-10-2005 à 17:22:23   

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