Les "arts et métiers" vus par Zola... - Arts & Lecture - Discussions
Marsh Posté le 25-06-2006 à 17:34:42
Pas sûr qu'elle donne une mauvaise image : il faut déjà déchiffrer que Plassans est Aix, et ce n'est pas forcément si évident que ça.
Mais je pense bien en effet que donner une mauvaise image d'Arts et métiers était un des buts recherchés par Zola.
Marsh Posté le 25-06-2006 à 17:42:05
Zola donnait déjà une mauvaise image du patronat dans Germinal alors il est tout à fait normal que Zola n'aimait pas l'élite que formaient les écoles.
Il faut pas oublier que ce que Zola écrit est véridique et bien réel puisque les histoires découlent d'une expérience sur le terrain.
Marsh Posté le 25-06-2006 à 19:17:27
Citation : Il faut pas oublier que ce que Zola écrit est véridique et bien réel puisque les histoires découlent d'une expérience sur le terrain. |
Ce constat me semble bien naïf.
Certes, Zola était informé, par documentation ou contact avec le "terrain", certes, son style est réaliste, mais il ne fait pas du journalisme. Son naturalisme à vocation scientifique est plus une délirante machine à recréer la société en laboratoire. L'oeuvre de Zola n'est pas un documentaire mais une simulation, elle ne dit pas la réalité mais la produit, production évidemment faite selon des paradigmes bien à lui. De nos jours, son déterminisme génétique est foireux et dépassé et on peut s'horrifier de cet écrivant mégalo qui voulait naturaliser la fiction, réaliser la représentation, mais ce mec qui prétend à la vérité et s'aperçoit qu'il crée des personnages et des environnements étranges et mutants, j'aime.
Marsh Posté le 25-06-2006 à 21:44:11
Peynet a écrit : Pensez-vous que « la bête humaine » de Zola donne une mauvaise image de lécole des « arts et métiers » ? |
Vous n'y êtes pas ! Dans La Bête humaine de Zola, Lantier hérite d'une fêlure, d'une faille héréditaire. Il s'agit d'un Instinct de mort qui n'a rien à voir avec un quelconque atavisme puisqu'il est transmission, non d'un contenu, mais d'une structure. La fêlure "ne transmet rien sauf elle-même" (cf. Deleuze, "Zola et la fêlure", in Logique du sens). En ce sens, la fêlure n'est pas accident mais forme constitutive. L'hérédité ne fait pas de Lantier un "abruti", un monstre irrésistiblement attiré par le gouffre sans fond de l'animalité, de la bestialité non maîtrisée, mais traduit en lui la présence du non-être, de l'impensable, de ce qui est l'Autre absolu de la vie, Fondement ontologique de l'Etre. C'est autour de cette faille et sur elle que s'organise la vie du personnage.
Pour comprendre cette oeuvre et plus précisément le traitement qui est fait du progrès, symbolisé par les trains, enfants de la civilisation, il faut donc distinguer l'Instinct de mort des autres instincts (l'alcoolisme, la perversion, etc...). Ceux-ci sont conditions de survie, de pérennité dans un milieu donné, à une époque donnée. Ils se déterminent en fonction d'une histoire, d'une culture. Ils se transmettent de façon plus ou moins héréditaires. Les instincts de vie tentent de masquer le gouffre que représente le non-être, sans jamais y parvenir définitivement. Au contraire, l'Instinct de mort n'est pas transmission de caractères acquis : il est inscrit au coeur même de la vie, comme le plus irrémédiable des destins. Il est au-delà de toute réalité (spatio-temporelle, socio-historique), il est inassimilable, absolue altérité, absolue différence. La Mort est transmission de ce qui est hétérogène à tout individu : la négation de l'individu.
Ainsi, la Croix-de-Maufras, espace central, est la représentation architectonique de cette trouée, de cette plaie béante qu'est la fêlure. A la fois point de convergence de tous les drames et épicentre à partir duquel se propagent les fractures, c'est un lieu désert, "séparé des vivants", où règne la solitude et la mort. Des terres incultes, non marquées par la main de l'homme. Lorsque la neige s'abat sur ce paysage, c'est sous la forme d'un linceul, et le désert devient "mer de glace". S'y déroulent alors, comme sur une scène, les crimes et les accidents. Lantier s'y trouve irrémédiablement enchaîné : toutes ses tentatives de fuite sont vaines. C'est un "labyrinthe sans issue". Le lieu où tout s'est déjà passé et où tout se répète.
A la forme statique de cet espace de désolation, Zola oppose l'aspect dynamique : les trains qui en flot incessant, passent, remplis des voyageurs du monde moderne. C'est le progrès qui, par définition, est inscrit dans l'ordre temporel, dans l'irréversible. Les deux mondes s'ignorent. Ceux qui vivent dans le désert n'ont des enfants de la civilisation et du progrès qu'une vision fugitive. Ceux qui voyagent ne soupçonnent même pas ce qui, sous eux, gronde et vibre. Là sans doute est la "mauvaise image des arts et métiers" dont vous parlez : Zola a voulu décrire l'opposition entre les "trains allant vers le XXe siècle" et "le drame obscur qui se joue", les "fauves tapis sous la civilisation", masqués par elle. Les ponts sont coupés pour le prétendu bien de la société. Le seul qui passe d'un monde à l'autre, pour son propre malheur, c'est Lantier. Mais, brusquement "l'ordre naturel est perverti" et les conséquences en seront, à terme, apocalyptiques... La scène qui clôt le roman représente cette civilisation du progrès technique contaminée par l'Instinct de mort : des soldats, réduits à l'état de bétail, de "chair à canon", sont parqués dans un train fou qui, sans destination, roule à tombeau ouvert. L'irréversible semble avoir cédé au retour régressif provoqué chez l'homme par les influences ayant leur source dans la guerre : ce qu'il y de primitif dans l'être humain est impérissable...
Marsh Posté le 27-06-2006 à 16:58:32
l'Antichrist
Jai trouvé ton analyse du roman de Zola très bien vue
Néanmoins il me semble que la notion datavisme est bien réelle dans « la bête humaine »
Était-ce sa soif qui était revenue, de venger des offenses très anciennes, dont il aurait perdu l'exacte mémoire, cette rancune amassée de mâle en mâle, depuis la première tromperie au fond des cavernes ?
Marsh Posté le 27-06-2006 à 17:01:48
python a écrit : Zola donnait déjà une mauvaise image du patronat dans Germinal alors il est tout à fait normal que Zola n'aimait pas l'élite que formaient les écoles. |
Alors que celui-ci ne le méritait pas
Marsh Posté le 27-06-2006 à 18:04:27
Baptiste R a écrit :
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Je ne suis pas trop d'accord.
Dans Germinal, Zola a recopié le vrai visage de la société telle qu'on la connait depuis plus de 400 ans. D'un côté, Zola montre un groupe d'individus sans scrupules qui veulent à tout prix préserver l'ordre social. L'argent est le moyen par excellence pour atteindre leur but et ça marche trop bien, trop bien même. L'ordre social leur permet de continuer à mener le train de vie princier qu'ils ne voudraient jamais perdre. Pour eux, seul l'argent existe, alors ce doit etre extrêmement frustrant d'en manquer ou d'être obligé d'exécuter le sale boulot à la place d'un autre ! La pauvreté est extrêmement payante pour la famille bourgeoise du roman de Zola.
Fahrenheit 9/11 ça te dit rien ... c'est la même chose
Baptiste R a écrit : Son naturalisme à vocation scientifique est plus une délirante machine à recréer la société en laboratoire |
Je suis d'accord. Un bémol toutefois, la société en elle-même est déjà un immense laboratoire. Qui l'a créé? Qui veut ne pas le perdre? Ce n'est nul autre que les gens riches à la tête des grandes compagnies.
Ce n'est pas eux qui font le rendement des compagnies. Ce sont les employés !!!
Le service à la clientèle, l'après vente, les gens aux comptes payables,les recevables, les gens de l'entrepôt et j'en passe. Eux travaillent la plupart avec un salaire de 9@10 dollard de l'heure. Pas de partie de golf, pas de dîner ou de souper payer au frais de la compagnie. Et même plusieurs fois des heures de fou et du stress de la part de ces dirigeants pour que eux paraissent bien au yeux de la société. Grattez et vous verrez qu'en bas de la pyramide ils n'ont pas de cadeau
Marsh Posté le 27-06-2006 à 18:29:29
Citation : le vrai visage de la société |
La société n'a pas de visage, même métaphorique. On ne peut la voir de l'extérieur.
Citation : |
Si la société est une simulation de laboratoire, cela signifie qu'on en maitrise toute la réalité. Qu'on a l'a créé, comme tu dis. Par conséquent, "les gens riches à la tête des compagnies" sont un 'ti peu très très puissants. Et l'esprit du Bourgeois planait au dessus des eaux.
Citation : |
Je comprends mieux... Non ce n'est pas la même chose et l'oeuvre de Zola n'est pas un tract politique. Comme le cinéma n'est pas prétexte à propagande.
Marsh Posté le 27-06-2006 à 19:06:53
baptiste R et python, vous avez tous les deux raison : dans La Bête humaine, Zola réalise une épopée : il s'agit d'un conflit de blocs, de mondes représentatifs et autonomes, montés dans un rapport synchroniques et qui s'interpénètrent à certains moments. Zola nous parle du destin, de la décomposition d'une civilisation - le Second Empire - et en même temps il nous raconte l'histoire d'une espèce - humaine. Comme le suggère baptiste R, Lantier n'est alors qu'un cas parmi d'autres, il sert de cobaye à l'écrivain. C'est d'ailleurs la différence qu'on peut établir, à la suite de Deleuze, entre le roman de Zola et le film de Renoir : chez Renoir, la fêlure n'est plus structure mais cas pathologique isolé, contingent. C'est une tragédie. Coup du sort. Avec Renoir, le moteur de l'histoire est un personnage : comme dans Thérèse Raquin, s'il meurt, l'histoire se termine. Avec Zola, le destin d'un personnage est toujours mis en perspective, en regard de l'Histoire : celle de l'humanité.
Ainsi, l'auteur de Germinal et de L'Assommoir se livre toujours dans ses oeuvres à une critique sociale acerbe ; son but est de montrer délibérément la vie sous ses aspects les plus sordides et les plus vils et de le faire avec un humanisme véritable caché derrière le pessimisme et la misanthropie apparents. Ses personnages sont prisonniers de leurs pulsions. Ne pouvant s'y soustraire, ils sont voués à la déchéance et à la mort. Tout autant que dominateurs, les personnages sont dominés, victimes de leurs propres désirs. Mais la loi sociale, les civilités, les moeurs imposent aux passions d'être en permanence réfrénées, recouvertes du masque de l'impassibilité. Les personnages sont condamnés à jouer des rôles mais leurs désirs progressent sourdement, ils sont toujours près à bondir, à relâcher leurs muscles et leurs nerfs tendus. Comme le note python, dans cette culture, toute progression des personnages dans l'échelle sociale est impossible car les membres de la bourgeoisie ne peuvent accepter des individus appartenant à une autre classe qu'eux, des parvenus qui visent à une satisfaction directe et brutale de leurs instincts, et dont les manières sont frustes et communes. Les pulsions, dans les hautes sphères de la société, sont organisées ; elles ne mènent pas forcément à une consommation directe. La dépravation est contrôlée et n'est tolérée que dans des zones réservées. Les bonnes manières et une dose certaine d'hypocrisie sont de mise et maquillent les désirs en savoir-vivre. Les pulsions peuvent être, aussi, absolument réfoulées. En ce sens, la satisfaction est toujours transgressive puisque la culture se fonde sur son refoulement et sa sublimation. Plus les normes et les interdits sont rigides, plus la jouissance à les tourner et à les subvertir sera grande. La pulsion paraît relever de ce qui serait une nature humaine. Elle appartiendrait à l'ordre biologique et caractériserait ce qui subsiste d'animal et de primitif. Mais si la source de la pulsion ne permet pas de différencier absolument l'homme de l'animal, en revanche les deux autres éléments caractéristiques de la pulsion, l'objet et le but, n'ont rien de naturel et de prédéterminé. La pulsion peut trouver des voies détournées, des objets substitutifs, des modes de relations nouveaux, pour arriver à la satisfaction. Elle connaît des destins différents et dont les rapports varient suivant les individus et les sociétés.
Pourtant, et conformément à ce que dit baptiste R, il y a chez Zola une "faculté de synesthésie" qui lui permet d'investir les éléments de la nature, du monde sensible de qualités subjectives, affectives et spirituelles. Ainsi, les décors et paysages - naturels ou urbains revêtent des qualités qui ne leur sont pas inhérentes, sont investis de rôles et de significations quils nont pas dans le réel. Les milieux ne sont pas de simples cadres spatio-temporels dans lesquels se déroulent les actions, dans lesquels vivent les personnages ; ils ne sont pas décrits dans leur pure objectivité, en tant quéléments indifférents au drame. Au contraire, ils sont investis dune puissance expressive, dune fonction dramatique et narrative ; ils sont chargés daffects et démotions qui correspondent et répondent à ce qui est en train de se jouer dans la scène, aux sentiments des personnages à un moment
donné : "Zola oblige le milieu à résonner à lunisson de ces moments décisifs de lexistence" que sont chez lui lamour et la mort "situations essentielles de la condition animale de lhomme". "Le milieu fondamental et la matière choisis, passent par tout le spectre et toute la gamme des drames humains dont le récit est rempli". "Un paysage quelconque est un état de lâme, et qui sait lire dans tous deux est émerveillé de retrouver la similitude de chaque détail". Comme tout artiste, Zola peut saisir ce quil y a de projectif dans le rapport à la réalité et, bien plus que la nature en soi, ce sont les analogies quelle présente avec les oeuvres dart et avec ce qui est dordre humain qui lintéresse : "Dans la nature non-humaine, paysage, ciel, terre, animaux, cest encore lallusion à lhomme, la ressemblance humaine, le symbole plus ou moins transparent qui nous intéresse". Zola ne transfigure pas la réalité pour obtenir ses "effets émotionnels". Il choisit certains objets appartenant au milieu décrit, présentant à un moment donné telle tonalité, tel aspect qui coïncident avec létat affectif du ou des personnages, les caractéristiques du drame qui est en train de se jouer. En dautres termes, il ne force pas les objets à prendre telle ou telle signification afin de la conformer au sens général de la scène, il ne les manipule pas. Il choisit parmi tous les "possibles" ceux qui vont répondre harmoniquement aux actions et aux situations. Cest de cette façon que le naturalisme se différencie du romantisme.
Avant de continuer à explorer cette "liberté", il faut rappeler ici que chez Zola il ne sagit pas de fatalité, extérieure au sujet, mais de déterminisme, immanent au personnage. Zola a voulu élaborer "une littérature déterminée par la science." Le romancier doit alors sidentifier au physiologiste, appliquer la même méthode dobservation et dexpérimentation sur des objets qui sont, en loccurrence, les êtres humains. Les phénomènes de la vie psychique seraient déterminés comme le sont les corps bruts, seraient soumis de façon absolue à des lois fixées par la nature : "Un même déterminisme doit régir la pierre des chemins et le cerveau de lhomme." En plaçant ses personnages - porteurs de caractères héréditaires -, dans un contexte donné - le milieu social -, à un moment donné, le romancier va pouvoir découvrir les mécanismes qui dirigent la vie intérieure de lêtre humain ; à linstar du savant, il va décrire les lois observables ou vérifier des hypothèses précédemment émises. Le déterminisme est la clef de voûte de la méthode expérimentale. Mais Zola tient à marquer la différence existant entre le déterminisme et la fatalité et cite Claude Bernard : "Le fatalisme suppose la manifestation nécessaire dun phénomène indépendant de ses conditions (...) le déterminisme est la condition nécessaire dun phénomène dont la manifestation nest pas forcée." Lidée de fatalité implique lexistence dune puissance transcendante, extérieure au monde du sensible. Les phénomènes qui se produisent nont pas de causes directes, organiquement liées à eux. Les forces agissantes qui provoquent lapparition des phénomènes sont dordre surnaturel ou métaphysique. La cause première est inatteignable, il est donc impossible dagir sur elle pour enrayer les phénomènes et, inversement, laction sur les phénomènes ne permet en aucun cas de remonter à la cause, aux conditions de leur apparition. Lordre des faits est immuable. En revanche, dans le cas du déterminisme, les lois sont observables ; le phénomène est immédiatement et nécessairement lié aux conditions de son apparition. Mais il peut ne pas se produire si dautres phénomènes, appartenant à dautres chaînes de causalité, interviennent comme forces contraires, comme forces de modification, dannulation, etc... En outre, il est possible de changer lordre des faits, de larrêter, de le prévoir, puisquen connaissant scientifiquement les différents éléments de cet ordre, dépendants les uns des autres, on peut, en principe, en agissant sur les uns agir sur les autres. "Du moment que nous pouvons agir, nous ne sommes pas fatalistes", affirmait Zola. Car la fin préconisée par lécrivain est bien de conquérir la nature, de se "rendre maître de la vie pour la diriger", dutiliser les lois naturelles "pour faire régner sur cette terre la plus grande somme de justice et de liberté possible". Lexpérimentateur se double alors dun moraliste.
Deux exemples permettent dillustrer cette analyse. Dans Thérèse Raquin, la description que fait Zola du cadre naturel dans lequel a lieu le meurtre de Camille anticipe lévénement. Les éléments deviennent signes, tragique prévision. Plus encore, ils sont dans un rapport de participation et dencouragement au meurtre : "Rien nest plus douloureusement calme quun crépuscule dautomne. Les rayons pâlissent dans lair frissonnant, les arbres vieillis jettent leurs feuilles. La campagne, brûlée par les rayons ardents de lété, sent la mort venir avec les premiers vents froids. Et il y a, dans les cieux, des souffles plaintifs de désespérance. La nuit descend de haut, apportant des linceuls dans son ombre." Dans La Bête humaine, cest la chambre où se trouve Lantier et où tout ruisselle de sang, où tout est inscription du sacrifice imminent : "Une nappe de clair soleil entrait par la fenêtre, incendiant les rideaux rouges du lit, les tentures rouges des murs, tout ce rouge dont flambait la pièce ; tandis que la maison tremblait du tonnerre dun train qui venait de passer. Ce devait être ce train qui lavait réveillé. Ebloui, il regarda le soleil, le ruissellement rouge où il était ; puis, il se souvint : cétait décidé, cétait la nuit prochaine quil tuerait, lorsque ce grand soleil aurait disparu."
Zola ne choisit donc pas des objets qui, simplement, reflètent les drames ; il les oblige, grâce à lemploi de qualificatifs, de verbes utilisés dans un sens figuré, de comparaisons et de métaphores et aussi grâce à lusage répétitif de chacun de ces éléments , à se transformer, à perdre dans leur expression toute littéralité. Il leur fait subir une inflation de la forme, il les surcharge de connotations subjectives. Il y a des moments "pathétiques", des "litanies extatiques" dans lesquels les objets sortent deux-mêmes, prennent une autre dimension, une autre qualité que la leur habituelle. C'est par exemple dans Au Bonheur des dames où, dans le grand magasin, les mannequins prennent vie, les étoffes se transforment en chair, les marchandises deviennent matière débordante, envahissante ici Zola se rapproche dun Rabelais ou dun Bruegel. Cette extase est liée à lhypostase dans la réalité déléments qui ne sont plus utilisés en tant quimages, mais qui sont donnés comme ayant une réalité en soi, une vie propre.
Bref, labsence de neutralité et dobjectivité chez Zola montre à quel point lécrivain était loin des prétentions quil affichait à réaliser une littérature débarrassée de tout effet de rhétorique, à mettre en question la "prépondérance exagérée donnée à la forme". Le réalisme est toujours mode particulier et spécifiquement actif de perception du réel. La littérature en tant que système de signes arbitraires impose une distance infranchissable entre le représentant et le représenté, ne peut se soustraire à la dimension dirréalité qui lui est inhérente. Roman Jakobson affirmait, justement, que "la question de la vraisemblance naturelle (...) dune expression verbale, dune description littéraire, est évidemment dépourvue de sens". "Est-ce quon peut dire que telle métaphore ou métonymie est objectivement plus réaliste que telle autre ? poursuivait-il. Même en peinture, le réalisme est conventionnel, cest-à-dire figuratif". Si des cinéastes avaient tenté, ce qui na pratiquement jamais été le cas, de restituer les effets visuels de lécriture de Zola, cest à toutes les possibilités stylistiques propres à leur art quils auraient dû avoir recours : la déformation de la perspective obtenue grâce à lemploi doptiques de longue ou courte focale, lanimation dobjets, la surimpression, le montage parallèle, lemploi de grosseurs de plans extrêmes, etc... En outre, cest dans le cinéma et, dans une moindre mesure, dans la photographie , que réside la possibilité pour les objets de conserver une irréductible part de réalité : la similitude nécessaire entre le signe et lobjet quil dénote. Le cinéma, comme laffirmait Eisenstein jusque dans sa pratique, est le moyen le plus propice dorganiser, de monter des éléments neutres pour créer un sens et la dramatisation voulue des scènes.
Marsh Posté le 28-06-2006 à 08:50:34
Peynet a écrit : l'Antichrist |
Dans le naturalisme de Zola, les mondes originaires doublent toujours les mondes réels, déterminés spatio-temporellement ! Le monde originaire n'a pas d'histoire. Dans les oeuvres de Zola, on le reconnaît à son caractère informe : "c'est un pur fond, ou plutôt un sans-fond fait de matières non formées, ébauches ou morceaux, traversé par des fonctions non-formelles, actes ou dynamismes énergiques qui ne renvoient même pas à des sujets constitués." (cf. Deleuze, L'Image-mouvement) Ce que vous prenez pour un atavisme n'est donc que la transmission d'un principe d'action, d'une forme vide susceptible de recevoir n'importe quel contenu, d'un fond universel, toujours déjà présent au coeur des vivants comme son Autre absolu, et qui n'a besoin que d'un milieu, d'un vécu, de la rencontre avec certains objets, pour se déclarer, s'exprimer dans toute sa démesure. Les actes meurtriers auxquels se sent poussé Lantier sont exempts de tout mobile ; ils ne sont pas des actes passionnels. De plus, l'atavisme est un instinct de vie et non de mort. Au contraire, le monde originaire est "commencement radical" et "fin absolue". Dans La Bête humaine, l'espace originaire est la vallée de la mort, le no man's land insoutenable de la Croix-de-Maufras. Lorsque la rencontre a lieu entre le monde originaire et le monde réel, les êtres de la civilisation échouent, naufragés dans le magma glacé du monde primitif. Flore et son père, pétrifiés d'étonnement, les dévisagent "avec des yeux ronds de sauvage".
Marsh Posté le 29-06-2006 à 15:04:08
Arts et métiers
Tout le monde aime bien les arts,quand aux métiers,ça dépend..
Le forum sappelle arts
et lectures.
A Nice une librairie sappelle « arts et littératures ».
« Arts et métiers » recouvre le CNAM et les écoles des « arts et métiers ».
La BNF organisa une exposition sur ZOLA fin 2002,début 2003
.
Le musée des arts et métiers prêta différents objets à cette occasion. Machine à vapeur
.Zola pensait que lhomme était asservi par la machine à vapeur et serait libéré par lelectricité
http://www.arts-et-metiers.net/mag [...] sh=f&arc=1
Je suis Piston,c'est ce qui fait marcher les machines à vapeur...
Je n'aime pas trop l'ancienne appellation de l'Ecole Centrale:"Ecole Centrale des arts et manufactures",je préfère :"Ecole centrale de Paris".Le mot technique et ses synonymes ont souvent une connotation péjorative...A l'exception de Polytechnique synonyme d'intelligence...
Lors du transfert à Chatenay Malabry Pompidou souligna que l'homme ne devait pas être asservi par la machine...
http://www.cefi.org/CEFINET/DONN_R [...] MPIDOU.HTM
Petite anecdote
A lécrit en Français,nous devions disserter sur l « Emile » de Jean Jacques Rousseau et le retour a lEtat de Nature
Aucun rapport évidemment avec le naturalisme et Emile
Zola ,mais je trouve le rapprochement amusant
Néanmoins Pompidou fut a l'origine d'un mariage reussi entre les arts et les manufactures...
Le centre Beaubourg...Centre Georges Pompidou...
On dirait une "usine à gaz".En fait c'est une usine en trompe l'oeil....Je ne suis pas sûr que les parisiens se seraient précipités tout autant pour voir une vrai usine...
Le musée des arts et métiers ,quand à lui,bénéficie d'un certain succès...
Marsh Posté le 01-07-2006 à 11:36:15
Peynet a écrit : |
Aucun rapport ? Pas sûr ! Rousseau est la figure amblématique d'une Nature toujours déjà perdue : il nous montre que le discours culturel est surdéterminé par la présence absolue de lêtre. Une (longue) explication s'impose.
Dans tous les usages du mot culture (le travail de la terre : la culture du blé, la formation acquise par l'esprit et débouchant sur une maîtrise spontanée : l'homme cultivé - Bildung en allemand, enfin lensemble des savoirs, des idéaux, des croyances, des habitudes, des goûts communs à une société : la culture chinoise au sens de civilisation - Kultur en allemand), un donné primitif antérieur (la terre sauvage, l'état d'esprit et la nature elle-même) a été radicalement transformé par un travail. Cest le travail en effet qui transforme une clairière en champ et un esprit inculte en esprit cultivé. Or, le travail, disait Hegel, est une négation (comme activité culturelle, le travail est antinaturel, il est suppression dun donné naturel) en même temps quun dépassement (dans toutes les conduites humaines, des plus naïves aux plus sophistiquées, saccomplit ce que Hegel définit comme "le travail de la négativité", cette Aufhebung dont lénergie dialectique, intrinsèquement liée au pouvoir du langage, supprime le réel tout en le conservant).
Prenons quelques exemples empruntés au programme de l'éducation philosophique (votre programme pour l'année de terminale à venir...). Tous les élèves apprennent en effet que le vêtement nie la nudité naturelle, que la parole nie le gémissement ou le cri naturel, que le dessin nie la trace. Lhomme nest pas seulement dans la forêt, à la manière dun animal ou dun arbre, il est face à elle. Il la contredit et la supprime en la rasant, et construit, au creux de cette absence gagnée, une ville ou un aéroport. Une maison nest pas simplement un abri, comme un nid ou un gîte, et ce nest plus au chant du coq, mais au bruit de son réveil que lhomme daujourdhui achève son sommeil. Le monde agricole lui-même, qui naguère encore représentait "lau-delà" de la ville, avec ses plantes et ses animaux, a rompu ses liens immémoriaux avec la nature. De même, lhomme na pas cessé de recouvrir par sa culture sa première naturalité. Nulle part, dans aucune société, le corps nest laissé en létat. Partout on le voit habillé, orné, paré, tatoué, et même mutilé. Ces "techniques du corps", selon lexpression de lanthropologue Marcel Mauss, sont particulières à lhomme, et complètement étrangères au monde animal. Semblablement, linstinct, caractéristique de lanimal, est désormais absent de la vie et de lexistence humaine. Comme déjà dit, la variabilité de "l'objet " de la pulsion, dont la seule limite est l'aptitude de cet objet à rendre possible la satisfaction, marque bien l'abîme qui sépare la pulsion de l'instinct. Celui-ci est un schéma de comportement inné, héréditaire, qui se reproduit toujours identiquement au sein d'une même espèce (les oiseaux d'une même espèce font toujours leur nid de la même façon). La pulsion au contraire, même si elle a toujours en vue la satisfaction (le "but" ), se signale par la diversité de ses voies et de ses objets : elle a trait à l'histoire de l'individu, au lieu de fixer celui-ci en un prédéterminisme biologique, et cela même si sa source est d'ordre corporel. Les pulsions ont une souplesse, une malléabilité (elles peuvent être détournées, refoulées, transformées, sublimées) que linstinct, toujours rigide, ne connaît pas. Enfin, il faut rappeler la différence entre les besoins naturels (comme boire, manger, dormir) et les besoins artificiels (comme fumer ou regarder la télévision). De plus, le désir, dont la dimension psychologique et sociale est prévalente, est à distinguer du besoin, toujours lié au corps. Cela dit, comme le remarquait Marx dans le Capital, si le besoin est le besoin, cela na pas le même sens de dévorer crue de la viande, et de la manger cuite avec un couteau et une fourchette, assis à une table et avec des amis : on ne peut pas réellement dissocier le besoin de son mode de satisfaction, cest-à-dire du désir.
Cest donc par le travail que se fait le passage de la nature à la culture. Le travail ne laisse pas les choses en létat mais, en bouleversant un ordre donné, il permet lémergence et le développement de ce qui était seulement virtuel et qui peut alors se penser comme une "seconde nature".
Mais le "travail de la négativité" dont nous parle Hegel est dabord fondamentalement celui de la conscience.
En effet, quand nous disons "La Nature" nous évoquons un vaste ensemble dêtres et de choses dont nous faisons nous-mêmes partie, mais qui pourrait exister sans nous, qui précéderait notre naissance et subsistera après notre mort. A un niveau élémentaire, la Nature révèle la présence dun monde pré-humain : elle désigne ce qui existe indépendamment de toute intervention humaine, comme un ensemble de choses produit de manière autonome, et organisé selon un ordre précis. Dans cette Nature, nous ne sommes quune poussière fugitive. Et pourtant, cette Nature ne serait rien si nous ne pouvions la percevoir. Elle est un spectacle déployé devant moi dont joccupe le centre et que je crée en ouvrant les yeux, que jabolis en les fermant et que je bouleverse dès que je fais un pas. Elle entre dans une perspective qui nexiste que pour moi seul ; elle moffre une variété innombrable de qualités sensibles, de contacts, de couleurs, de sons, dodeurs et de saveurs qui me permettent de discerner les choses les unes des autres, de choisir entre elles pour régler mon action, de reconnaître en elles le double caractère dutilité et de beauté qui leur donne avec moi une certaine affinité. Ainsi, pour lenfant qui vient à la conscience, cette Nature que chacun touche et sent est le monde qui sétale sous ses yeux et qui lui semble extérieur et indépendant de lui. Le premier réveil de la conscience face à la Nature qui semble extérieure est un réveil conquérant : il est si bien convaincu de lextériorité des choses quil cherche à les expliquer en les assimilant ; le bébé veut tout ingurgiter pour que rien ne reste à lextérieur. A cette boulimie digestive, succède une boulimie de lintelligence qui veut comprendre pourquoi chaque chose est ce quelle est, et pas autre. Nous retrouvons ici le questionnement de nature philosophique. Tout philosophe, en effet, adresse au monde un questionnement logique. Ou plutôt, il le lui impose, puisque son entreprise na dautre but que de trouver du sens à ce qui, de prime abord, nen a pas. Face à ce qui ne se donne pas à penser, le philosophe sétonne donc : pourquoi de lexistence partout, "cette profusion dêtres sans origine" ? (cf. Sartre, La nausée) : "La nature dans lunivers entier ne montrait quun même visage informe, que les Grecs appelaient chaos, masse brute et confuse" (cf. Ovide, Métamorphoses, I, V.). Cet état de "non-sens", nous léprouvons comme une affliction intolérable, une sorte de crime perpétré contre la dignité morale de notre raison. Il faut donc que cette apparente impensable réalité dépende dun "logos" essentiel, dune raison universelle dont lintention cachée pourra se dire dans une "parole fondamentale de la métaphysique" (Heidegger). Cest en ce sens quHeidegger montrera que le destin de la métaphysique tient à un coup de force de la pensée humaine, à une décision qui pose en même temps une pensée (logos), une nature (physis), et un cosmos, cest-à-dire une nature comme ordre. Autrement dit, la philosophie simpose un dire qui fait écran sur le chaos, sur labsolu désordre, impensé et impensable. Or, ce logos sidentifie à la puissance ordonnatrice du réel. Le Dieu de la métaphysique, lentendement divin, est le modèle de lentendement humain, véritable "créateur" du discours ordonnateur. Et cest pourquoi le philosophe, en mobilisant sa force conceptuelle, voulue sur le modèle de la raison divine, se révèle capable de saisir lintelligence des choses.
Ainsi, ce qui est en cause dans cette interrogation dune frange du réel (le sujet) sur le réel dans son entier (la Nature), cest quelle seffectue au nom dune structure dont le statut paraît "naturellement" ambigu et paradoxal : notre mode dappréhension "des choses", cest-à-dire la conscience, soffre à la fois comme signe tangible de notre appartenance au monde et aptitude symbolique à distancier ce dernier pour sen abstraire. La conscience, cest la volonté daccueillir la Nature sans jamais lintégrer. Ce que lesprit constate, en effet, il sen détache puisquil pourrait le concevoir autrement et quil y a en lui plus de possibilités que celles offertes par le réel. Le fait de la conscience est de saffirmer par-delà toute présence manifeste, bref dimposer sa culture. D'où la question philosophique : la conscience, qui veut rendre compte (ou conte ?) du réel en attestant en nous de la présence du surnaturel, qui cherche à récupérer puis intérioriser quelques bribes de ce réel qui est le non-moi par excellence, peut-elle vraiment prétendre atteindre quelque chose deffectif en dehors delle ? Quel rapport y-a-t-il entre la Nature où je vis et qui me contient, et ce sensible que je vois, que je touche mais que je ne connais que parce que ma conscience lenveloppe ? Dun côté, la Nature "existe" partout sans nous, mais de lautre elle nest (et ne naît) quen qualité dobjet fantasmatique (la "loi physique" est dabord un modèle produit par lentendement scientifique, de même que le "beau" est le produit de notre sensibilité et imagination dans le domaine artistique
) ; comme une sorte de possible narratif émanant de notre intelligence symbolique, de notre personne métaphysique ou de notre sensibilité métaphorique. Ce langage de la nature, que le philosophe, le scientifique ou le rêveur cherchent à dévoiler partout, nest-il pas autre chose quune illusion fondamentale quélabore le discours humain pour résister à lentropie (la précarité de lordre toujours menacé par son retour au désordre initial) du monde ? Demblée, la force du concept essentialise linconnaissable en un tout finalisé, où la recherche implique "la croyance en un objet de nature, cest-à-dire un objet éternel et divin" (cf. Clément Rosset, Lanti-nature).
Car cette Nature, à la fois présente partout et visible nulle part (véritable ombre de Dieu
), correspond demblée à une interprétation religieuse (du latin "religere" qui recueille et qui relie) du monde. Elle est la promotion dune réalité seconde, idéelle et par là presque indicible. Avec la Nature, une sorte de quintessence du sensible vient au jour, à la fois immédiate et insaisissable, parce que toujours déjà là. Figure de la Vie (bien plus que Force naturelle), toujours silencieuse, invisible et impensable (irreprésentable) dans son accomplissement (un peu comme lherbe qui pousse
ou la barbe), la nature soffre, évidente et claire au ciel de nos idées. Mais, vivant paradoxe du réel, cette nature est toujours déjà perdue et cest pourquoi nous laimons : elle est pour nous la quête dune "authenticité primitive", de cette sauvage vision qui seule peut nous fait atteindre la région originale-originaire de la réalité (ce qu'elle est effectivement pour Rousseau). En fait, grâce à cette nature-miroir qui, lespace dun instant, efface le clivage pathétique de lexistence humaine et de lEtre, lhomme devient ce quil est. Le philosophe, comme lartiste ou le savant, le poète ou le promeneur prouvent labsolue disponibilité de lhomme, sa capacité à sabstraire de toute détermination objective et à affirmer sa liberté. Mais en même temps, leur activité esthétique, critique, scientifique ou contemplative, dévoilent le corps-propre de la nature. Se sont des expériences métaphysiques fondamentales, où se révèle le Même (lartifice est le propre de lhomme) et lAutre (il est inscrit en lui comme une disposition naturelle) du sujet. Cette nature-miroir est un au-delà du réel ! En quelque sorte, cest un entre-deux magique : à égale distance des hasards de la matière et des artifices de lactivité humaine. Ensemble de forces (la physis) ou principe primordial (le Cosmos, le Logos) ; efflorescence anarchique de la vie dans tous ses états ou action et conduite réfléchies de lhomme ; dynamique productrice des "choses" ou faculté dinfléchissement du réel, la Nature est tout cela en même temps pour léternité. En elle, pour une fois, lacte de la pensée et son objet se confondent.
Bien quelle soit un "paradigme perdu", lhorizon sans rivage de notre quête spirituelle ou intellectuelle, la Nature est pourtant indéniable parce que nous nous représentons comme indéniable la nature humaine, cest-à-dire la faculté dagir sur la nature, y compris notre propre nature. Loin dêtre cette étrange personne, étrangère à tout, et inaccessible, la Nature est inscrite en nous de manière paradoxale : par tous les "artifices naturels" (chez Zola par exemple...) quelle déploie pour que lon arrive à ses fins (cf. "l'insociable sociabilité" chez Kant ou la "perfectibilité" chez Rousseau). Car, répétons-le encore, lhomme est citoyen de deux mondes : issu du monde matériel, il touche au monde spirituel. Il est donc un être "composé", qui cependant forme un tout. C'est cette notion de totalité qui échappe encore trop souvent à nos "scienteux" de tout bord... Cette situation est lélément moteur et primordial de sa quête du sens : ce démon (cf. le "daïmôn" des anciens Grecs) de la connaissance qui fait quil trouve de lintention partout, que ce soit au nom de Dieu ou du hasard. Nous apercevons ici deux des caractères essentiels de la nature dun être "condamné au sens" : dune part, le lien intime qui lunit à la conscience, unité sans contenu (forme vide) susceptible de recevoir nimporte quel contenu (ce que montre bien l'oeuvre de Zola...) ; dautre part, le souci majeur dordonnance des choses et dorganisation de soi, qui en est comme le corollaire. Ainsi, nous pensons lois parce que nous pensons, et "lentendement est par lui-même une législation de la nature" (cf. Kant). Face à létat de non-sens, au manque de cohérence et de cohésion du réel, contre le sentiment de violence absurde qui en émane, ma conscience, en effet, se révolte et exulte ma liberté : penser est un cri lancé contre labsurde de notre condition. Etant, à la différence de Dieu, une "personne" inachevée, par cet univers de fictions verbales qui habite ma pensée, je règle logiquement (selon le Logos, parole et mesure) mon appartenance au monde. Bref, la conscience, cest lart de poser sa différence en regard de la nature ou démettre au monde ses objections.
Lhomme est donc le seul être libéré de la nature et la culture est son mode dêtre au monde. Dans son effort culturel constant, fragile, souvent chaotique, lhomme creuse sa différence radicale. Ainsi, Merleau-Ponty pourra écrire : "Tout est fabriqué et tout est naturel chez lhomme, comme on voudra dire, en ce sens quil nest pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à lêtre simplement biologique - et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte déchappement et par un génie de léquivoque qui pourraient servir à définir lhomme." (cf. Phénoménologie de la Perception). En tout cas, le vrai, le juste, le bien, le beau sont des idées dont nous éprouvons la "valeur" avec force, quand bien même nous ne parviendrions jamais à les définir. La nature humaine ou "le congé définitif que linstinct reçoit de lintelligence." (cf. Bergson, LEvolution créatrice).
Vous pouvez maintenant un peu mieux comprendre le sens et la portée de la "perfectibilité" chez Rousseau : par elle, il nous propose la vision d'une nature humaine comme faculté de parfaire la nature dans lordre sui generis de la culture. Un rêve d'artiste autrement dit... à la manière de Zola.
Vous l'avez compris, rien de ce qui fait lhomme, rien de ce que fait lhomme nest naturel (pas même le beau dans lart : "lart nest pas la représentation dune belle chose mais la belle représentation dune chose" ), toute lhistoire humaine est celle dun progressif éloignement dune origine à jamais perdue, la nature. Telle sera la voix de Rousseau : la dénaturation que constitue le passage de létat de nature à la vie civile, est inéluctable. Létat de nature est un état fictif obtenu abstraitement en supprimant tout ce qui est "surnaturel" et "artificiel" : un état infra-rationnel et infra-social, le résultat dune opération de réduction historique. Il nest donc jamais question dun "retour à létat de nature" comme vous le dites : le problème, à la fois philosophique, politique et pédagogique, porte sur lhistoire qui est une nécessité de fait. Rousseau fustigera donc le caractère contingent de cette histoire, mais pour mieux préparer lavènement du nouvel "homme de lhomme". Ainsi, lEmile insistera sur le caractère rédempteur de léducation dans une civilisation où lhistoire altère la nature et dans un monde où il ne peut être question dabolir lhistoire. Et le Contrat Social devra assurer une réforme politique permettant de retrouver la nature dans la citée sous la forme de la raison et de la justice. Bref, lhomme est un produit de la culture, le produit du travail de lhomme, de son action de transformation de la nature et de sa propre nature. Zola est très proche, n'est-ce pas ?
Cette activité de transformation de la nature, par son ampleur, met sans doute lhomme à part des autres animaux, eux-mêmes soumis à cet ordre nouveau crée par lhomme. Rien ne dit toutefois quune telle tendance à transformer la nature ait été un "programme" inné en lhomme, ce qui revient à poser la question du fondement de la culture. De même quil nous a fallu expliciter cette inscription de la Nature dans son dépassement culturel (nous sommes en quelque sorte toujours hanté par elle), et la reconnaître comme espace spirituel et présence de lEtre (Deus sive Natura), de même nous devons montrer comment la disposition naturelle de lhomme à la culture dépend elle-même dun ordre culturel sui generis.
En effet, lorsquon parle de "culture", on renvoie à un acquis quel quil soit. Lhomme ajoute à la nature ses murs, sa façon de vivre. Nous lavons dit, la culture, cest le dépassement du donné. Cest le processus par lequel lhomme cherche à se libérer de ses particularités. Se cultiver, cest se libérer des limites (et dabord celles de la culture elle-même, entendue au sens de la civilisation) que définit notre existence particulière. La culture signifie en ce sens, non seulement lappropriation des données dune certaine culture, mais le dépassement de cette appropriation dans la réflexion qui permet une voie daccès à luniversel (contre tout phénomène d "acculturation" ). On peut alors remonter aux principes originaires. D'où la pensée de Rousseau : la société ne relève pas dune essence naturelle pré-définie. En revenir aux principes originaires de toute culture, ce nest plus considérer la culture comme relevant dune essence. La culture ne peut se comprendre comme la simple assimilation dun donné puisque se cultiver, cest dépasser ce donné. Or, ce dépassement est inscrit dans la nature humaine, dans cette disposition de lhomme à la culture : bref, lidée de culture suppose la question du fondement. Parler du fondement de la culture, cest chercher à établir un rapport constitutif entre une disposition virtuelle de lhomme (il porte en lui-même les conditions de réalisation de la culture, ce que Rousseau appelle la "perfectibilité" ) et la culture comme ordre sui generis. Bref, on ne peut pas réduire la culture humaine à un déterminisme de type scientifique qui ne laisserait aucune place à la liberté. Ce que cherche précisément à faire Zola dans et par son oeuvre...
Poser le problème du fondement de la culture implique donc deux directions : expliquer le passage de la nature à la culture, mais aussi situer ce passage dans la nature même de lhomme. Rousseau sengage dans ces deux directions. Cette disposition est la perfectibilité. Celle-ci nest ni réflexion, ni instinct, ni raison. Elle est la condition préalable et formelle qui rend possible le développement de toutes les possibilités humaines (bonnes ou mauvaises : vous voyez encore le rapport à Zola j'espère ?). La perfectibilité ne requiert pas la conscience de soi. La perfectibilité nest pas autre chose quune qualité biologique inséparable de lhomme. Elle nest quen puissance à létat de nature. Ce sont les conditions extérieures qui la réveillent. Si donc les hommes se sont mis à transformer leur environnement, ce devait moins être dû à une tendance naturelle quà un "funeste hasard", inondation ou tremblement de terre, un événement qui, par exemple, aurait raréfié les denrées produites naturellement et qui aurait forcé les hommes à se rapprocher les uns des autres et à se sédentariser, au lieu de continuer simplement à se déplacer pour aller chercher la nourriture là où elle se trouvait.
Dans une telle analyse, le travail et la technique apparaissent demblée, contrairement au récit biblique, non comme une forme de malédiction, mais plutôt comme la solution apportée par lhomme à des catastrophes écologiques. Là où dautres espèces se seraient éteintes à cause des transformations de leur milieu, lhomme, du fait sa "perfectibilité", a été capable de transformer son rapport à ce milieu pour survivre et en tirer profit. La tendance fondamentale de la nature humaine, qui distingue lhomme de tous les autres animaux, son essence donc, cest la perfectibilité, cest-à-dire la faculté de "parfaire" ce que la nature na pas achevé en lhomme, et qui demande, par le travail, à être développé. La perfectibilité, qualité essentielle de la nature humaine, fait de lhomme un être inachevé, devant se réaliser par lui-même. Lartifice, que rousseau condamne dans un premier temps (cf. Discours sur les sciences et les arts) parce quil rend lhomme artificiel, faux, trompeur, rusé, parce quil le corrompt en lui donnant de lesprit, est finalement réintroduit dans la nature de lhomme, non plus comme ce qui détruit sa nature, mais comme ce qui doit la parachever. Zola ne dit pas autre chose... Ainsi, par le travail, lhomme se modifie au passage lui-même et, dans une certaine mesure, saméliore : Rousseau montre comment lhomme, acquérant la métallurgie et lagriculture - là encore par dimprobables concours de circonstances - développe ses propres capacités, son intelligence et son habileté, au point que lon peut dire que cest en travaillant que lhomme construit sa propre humanité : "A mesure que le genre humain sétendit, les peines se multiplièrent avec les hommes. La différence des terrains, des climats, des saisons, put les forcer à en mettre dans leurs manières de vivre. Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants qui consument tout, exigèrent deux une nouvelle industrie [...] Cette application réitérée des êtres divers à lui-même, et les uns aux autres, dut nécessairement engendrer dans lesprit de lhomme la perception de certains rapports [...] Les nouvelles lumières qui résultèrent de ce développement augmentèrent sa supériorité sur les autres animaux en la lui faisant connaître". (cf. Discours sur lorigine et les fondements de linégalité parmi les hommes). La raréfaction des ressources extérieures est ce qui pousse lhomme à puiser dans ses ressources intérieures pour, simultanément, sadapter au milieu et adapter le milieu à lui. Rousseau fait clairement apparaître le lien entre le travail et un "propre de lhomme" paradoxal ("la perception de certains rapports" cest-à-dire la raison) qui nest pas donné tout fait mais, justement, développé en même temps que lhomme acquiert la maîtrise de la nature et produit des objets artificiels.
Avec Rousseau (et Zola...), au mythe de la nature humaine, il nous faut donc substituer le mythe de Prométhée. Lartifice, issu du monde du travail, ne soppose pas à la nature, si lon comprend celle-ci comme imparfaite et comme susceptible dêtre parachevée, améliorée, développée par lhomme. Platon, dans le Protagoras, pensera, par lintermédiaire de ce mythe, lidée dartifice comme remède à limperfection de la nature humaine. "Nu, déchaussé, dénué de couverture, désarmé", lhomme va recevoir de Prométhée lintelligence ou "le génie créateur des arts", lui permettant de résoudre les problèmes que la vie lui pose. Les autres animaux ayant été largement dotés du nécessaire par Epiméthée qui, dans son imprudence et sa précipitation, avait oublié lhomme. Ce mythe enseigne donc que lhomme est, par nature, un homo faber, un être dont la nature est dinventer, de fabriquer, comme le dira Bergson en soulignant que lintelligence humaine nest pas tant une faculté théorique et contemplative dont le but serait la connaissance désintéressée, quune faculté pratique liée à laction (cest ce que montrera aussi, à sa manière, G. Bachelard dans la Formation de lesprit scientifique). La nature de lhomme, cest lartifice, en tant que lartifice relève de lart (au sens de la technê dAristote, "lartifice qui effectue ce que la nature est dans limpossibilité daccomplir", cf. Physique,) et désigne lhabileté, le savoir-faire, lingéniosité. En ce sens, tout travail implique une technique. La technique, en effet, cest le système des moyens ordonnés à une fin selon certaines normes, qui structure toute action productrice et la rend efficace. Par la technique, lhomme cherche à résoudre, grâce à un savoir-faire, des problèmes que rencontre sa faiblesse naturelle. La technique consiste alors en un prolongement artificiel de lorganique qui cherche à survivre mais aussi à bien vivre. Dans cette perspective, Ulysse peut représenter la figure même de lingéniosité humaine. Ecarté dIthaque pendant vingt ans, il retournera chez lui à force de ruse, dhabileté, dartifice. On peut aussi rappeler lépisode des sirènes : par lusage de sa raison, Ulysse prévoit la faiblesse (le défaut de la force) de sa volonté et organise un plan en conséquence pour pallier cette défaillance afin de se repaître de son désir dentendre les sirènes, de se perdre dans ce chant. Si Ulysse désire ce chant, il ne le veut pas. Cette non-volonté est gouvernée par le désir affirmatif de jouir à linfini de son désir. Or, pour en jouir le plus possible, il ne faut pas y succomber (car sinon, cest la mort). Lartifice devient ici le pouvoir que lusage de sa raison donne à Ulysse de se prémunir de son propre désir en substituant aux cordes de la volonté, impuissantes au moment où le désir se fait entendre (le chant des sirènes), quand nous sommes jetés dans le feu de laction et dans la chaleur du désir, les cordes matérielles qui vont lattacher au mât pour sa propre sécurité sans lempêcher de jouir de ce chant. Quant à Hume, il pourra soutenir dans son Traité de la nature humaine (cf. III) que la justice est "une vertu artificielle" dans le sens où elle provient, non de la nature innée de lhomme, mais de sa faculté dinventer des remèdes à des situations invivables. La justice est une convention inventée pour pouvoir vivre en communauté, mais cet artifice nen est pas moins naturel. Pour être artificielles, les règles de justices nen sont pas pour autant arbitraires, leffet du caprice ou du hasard. Cest cette confusion entre lartifice et larbitraire qui est source de la disqualification de lartifice et de son opposition à la nature.
Je vous laisse, mais il faudra certainement que je revienne pour vous entretenir du rapport entre le naturel et le normal...
Marsh Posté le 03-07-2006 à 15:09:48
Merci pour cette dissertation hautement philosophique
Un film de Godard mintrigue
« Le gai savoir »,commencé juste avant Mai 68
.Cest le titre dun livre de Nietzsche,mais le thème en est lEmile de Rousseau
.Mai 68,cétait en quelque sorte une " remise à plat " de la civilisation,un retour à l état de nature
Le film a longtemps été censuré,mais doit être diffusé au centre Pompidou le 9 juillet 2006
http://picabia.cnac-gp.fr/Pompidou [...] enDocument
Les découvertes de la civilisation font peur quelquefois,elles faisaient peur à Zola,à Pompidou lors de lallocution de 1969 (transfert école Centrale).Ces ordinateurs "intelligents ",ce sont les machines à vapeur daujourdhui .La Lison presque humaine qui envoyait des jets de vapeur comme le souffle dune respiration
.
Marsh Posté le 04-02-2011 à 12:56:05
Puisque nous nageons en pleine philosophie, je vous propose de visionner cette vidéo qui évoque et caresse les guides de pensé de cette formation au travers d'anciens élèves : INTERRESSANT !
http://www.youtube.com/watch?v=FqcTDzu8eTo
Marsh Posté le 25-06-2006 à 17:25:08
Pensez-vous que « la bête humaine » de Zola donne une mauvaise image de lécole des « arts et métiers » ?
Jacques Lantier qui souffre dune hérédité dalcooliques a été formé à lécole des "arts et métiers " de Plassans .Issu de cette école grâce à son intelligence,il aurait pu faire mieux que mécanicien
Plassans est une ville imaginaire de Zola Il sagit en fait dAix en provence
Et effectivement,lécole des « arts et métiers » est implantée a « Aix en provence » depuis 1843
Zola a voulu être ingénieur comme son père,il a fait une prépa au lycée Saint-Louis,mais était fâché avec les maths,physique chimie .Il avait néanmoins une superstition basée sur les chiffres et comptait les pas,ou calculait la somme des chiffres des numéros de fiacres avant de prendre une décision..
Lécrivain semble considérer le mécanicien Jacques Lantier comme un « abruti » A cause de sa formation ? Ou a cause de son hérédité ?
Message édité par Peynet le 25-06-2006 à 17:30:53