Iran : la guerre sera-t-elle inévitable ? - Politique - Discussions
MarshPosté le 23-11-2007 à 22:44:20
Il y a des sujets de préoccupation qui, si on ne s’y attaque pas à temps, risquent de compromettre, tôt ou tard, la vie sur terre, le réchauffement climatique figurant au premier rang à cet égard. Ces évolutions tendent cependant à se dérouler sur un temps relativement long. La spécificité de l’affaire iranienne, c’est la rencontre entre des décisions à très court terme et des effets à très long terme, cette rencontre s’opérant autour de l’énergie de l’apocalypse que recèlent les armes nucléaires. Les organisations écolo-pacifistes, si promptes à dénoncer des Etats démocratiques de l’Occident, tels les Etats-Unis et la France, ne semblent pas s’en préoccuper outre mesure. En tout cas, on ne les entend pas manifester leurs inquiétudes sur ce point. La population européenne, loin d’en faire des cauchemars, regarde ailleurs.
La raison principale de ce désintérêt réside, à mon sens, dans le mensonge de l’Administration Bush sur les prétendues armes dont aurait disposé un certain Saddam Hussein : Comment crier au loup nucléaire iranien quand nous avons vu comment les peuples, et parfois les gouvernements, ont été trompés par les déclarations sur les armes de destruction massives supposées être détenues par l’Irak ? Sur ce point, une note personnelle : à l’époque je me suis fermement déclaré, dans ces colonnes, contre l’aventure militaire en Irak, afin de laisser se poursuivre les inspections de l’ONU qui avaient permis de démanteler en profondeur ces programmes dont toute l’étendue n’a été connue qu’après l’arrivée des inspecteurs.
S’agissant de l’Iran, la situation est tout autre : les données sont principalement celles provenant de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) des Nations Unies qui a considéré, tout comme le Conseil de sécurité, que l’Iran s’était lancé clandestinement dans l’enrichissement de l’uranium à des fins autres que pacifiques. Si erreur il y a, elle consiste plutôt à sous-évaluer ce que fait l’Iran.
Quelles peuvent être ses motivations de se doter de l’arme nucléaire ? Le renforcement du prestige du régime ; l’exercice effectif de l’hégémonie régionale ; les leçons tirées du conflit Irak–Iran de 1980 à 1988 (le « plus jamais ça ») ; l’expérience d’un isolement stratégique quasi-total à l’occasion de ce conflit ; la menace américaine telle qu’elle se présente depuis 2002 (lutte contre « l’axe du mal ») ; le fait qu’Israël possède l’arme atomique ; la volonté pour les dirigeants iraniens de menacer Israël.
Or la justification quant à la possession par Israël de l’arme nucléaire, n’est pas valable, cette dernière étant une puissance nucléaire depuis quarante ans et ayant amplement démontré, pendant ce laps de temps, le caractère purement dissuasif de son arsenal. La dernière raison est de nature à donner la chair de poule : les déclarations du président Ahmadinedjad visant à faire disparaître l’ « entité sioniste », sur toile de fond de négation de la Shoah. Jacques Chirac pensait que, dans l’hypothèse d’une frappe iranienne, la force nucléaire de l’Etat hébreux suffirait à dissuader toute velléité de menace nucléaire de l’Iran à l’encontre d’Israël ; sur ce point j’estime qu’il avait tort. Les autorités iraniennes, à travers leur bras armé idéologique qu’est le Commandement des gardiens de la révolution (IRGC) ont une longue habitude de l’action indirecte, par le truchement d’organisations ne relevant pas directement de leur autorité : le Hezbollah en est l’exemple le plus achevé dans la durée, mais Téhéran a su aussi susciter des groupes terroristes aux appellations éphémères. Il serait irresponsable de faire comme si ce risque n’existait pas.
L’arme nucléaire a pour vertu stratégique essentielle d’égaliser le rapport de force entre le « faible » et le « fort » (p.ex. la France vis-à-vis de l’ex-URSS, le Pakistan vis-à-vis de l’Inde). Un Iran non nucléaire est bien placé pour exercer son hégémonie dans un golfe Persique composé d’Etats également non nucléaires plus faibles que lui. A l’inverse, un Iran nucléaire n’aura pas les mêmes atouts face à des pays arabes et sunnites disposant eux aussi de l’arme nucléaire. La stratégie du « faible » au « fort » permettrait, toutefois, à l’Iran de contrer la foudre américaine, Washington s’étant assigné l’objectif de se débarrasser du régime des mollahs.
Or la nucléarisation de l’Iran comporterait des conséquences beaucoup plus dramatiques que l’accession d’autres pays à l’arme nucléaire, pour trois raisons : 1) l’Iran porterait la menace nucléaire à travers des groupes terroristes ; 2) l’Iran fondamentaliste est rationnellement moins prévisible que celui du chah ; 3) l’Iran provoquerait une course aux armements nucléaires, notamment dans le monde arabe (Arabie Saoudite, Egypte etc.) et turcophone (Turquie etc.), voire même au niveau planétaire.
Comment réagir ? Les pressions actuelles du Conseil de sécurité sur l’Iran doivent être poursuivies et accentuées, de même qu’il est important que se poursuive l’isolement financier et économique de ce pays par les grandes puissances industrielles. Il ne faut, cependant, pas se faire d’illusions sur la réussite de cette démarche. D’abord la Russie et la Chine estiment dans leur intérêt de ne pas s’assujettir à des mesures trop contraignantes. Ensuite le blocage à Téhéran entre les centres de pouvoir concurrents ne se prête pas à un revirement aussi radical que serait le refus de l’enrichissement de l’uranium. Et puis, ne nous voilons pas la face : les mollahs (le guide Ali Khameini) et les laïcs (le président Ahmadinejad) chassent sur les mêmes terres, en accord avec la majorité des Iraniens. Certains experts envisagent même l’année 2008 comme l’année fatidique où l’Iran aurait dépassé le seuil de non-retour.
Au cas, probable, où les sanctions ne serviraient à rien, il est illusoire car trop tard de tabler sur une neutralisation de tout le Moyen-Orient. Convenons que les conséquences du non-recours à la force, dans certaines hypothèses, risquent d’être plus dramatiques que l’intervention militaire. Au prix de heurter les pacifistes, il me semble que le recours à la force serait moins calamiteux que l’acceptation du franchissement du seuil nucléaire par l’Iran, suivi par celui d’autres Etats de la région, tout en étant conscient que des frappes aériennes américaines auraient dans un premier temps des conséquences positives peut-être limitées et des effets négatifs majeurs, comme une instabilité accrue de la région. Ces frappes présenteraient au moins l’avantage de différer de plusieurs années ou décennies l’accession de l’Iran au nucléaire militaire et de laisser aux administrations futures le soin de devancer une revanche iranienne.
Les partisans du statu quo feraient bien de se rendre à l’évidence : Dans un monde où l’accès à l’arme nucléaire serait devenu un fait ordinaire, il y a peu de chances d’échapper, dans des conflits complexes, à l’emploi, tôt ou tard, du feu atomique. Dans un système chaotique à acteurs multiples, la dissuasion ne tiendra pas. La référence à Munich qui a servi trop de fois à justifier l’injustifiable n’est, selon moi, pas abusive dans le conflit actuel. La formule de Churchill visant les auteurs des accords de Munich vient ici à l’esprit : « Ils devaient choisir entre la guerre et le déshonneur. Ils ont choisi le déshonneur. Ils auront la guerre. »
Marsh Posté le 23-11-2007 à 22:44:20
Il y a des sujets de préoccupation qui, si on ne s’y attaque pas à temps, risquent de compromettre, tôt ou tard, la vie sur terre, le réchauffement climatique figurant au premier rang à cet égard. Ces évolutions tendent cependant à se dérouler sur un temps relativement long. La spécificité de l’affaire iranienne, c’est la rencontre entre des décisions à très court terme et des effets à très long terme, cette rencontre s’opérant autour de l’énergie de l’apocalypse que recèlent les armes nucléaires. Les organisations écolo-pacifistes, si promptes à dénoncer des Etats démocratiques de l’Occident, tels les Etats-Unis et la France, ne semblent pas s’en préoccuper outre mesure. En tout cas, on ne les entend pas manifester leurs inquiétudes sur ce point. La population européenne, loin d’en faire des cauchemars, regarde ailleurs.
La raison principale de ce désintérêt réside, à mon sens, dans le mensonge de l’Administration Bush sur les prétendues armes dont aurait disposé un certain Saddam Hussein : Comment crier au loup nucléaire iranien quand nous avons vu comment les peuples, et parfois les gouvernements, ont été trompés par les déclarations sur les armes de destruction massives supposées être détenues par l’Irak ? Sur ce point, une note personnelle : à l’époque je me suis fermement déclaré, dans ces colonnes, contre l’aventure militaire en Irak, afin de laisser se poursuivre les inspections de l’ONU qui avaient permis de démanteler en profondeur ces programmes dont toute l’étendue n’a été connue qu’après l’arrivée des inspecteurs.
S’agissant de l’Iran, la situation est tout autre : les données sont principalement celles provenant de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) des Nations Unies qui a considéré, tout comme le Conseil de sécurité, que l’Iran s’était lancé clandestinement dans l’enrichissement de l’uranium à des fins autres que pacifiques. Si erreur il y a, elle consiste plutôt à sous-évaluer ce que fait l’Iran.
Quelles peuvent être ses motivations de se doter de l’arme nucléaire ?
Le renforcement du prestige du régime ; l’exercice effectif de l’hégémonie régionale ; les leçons tirées du conflit Irak–Iran de 1980 à 1988 (le « plus jamais ça ») ; l’expérience d’un isolement stratégique quasi-total à l’occasion de ce conflit ; la menace américaine telle qu’elle se présente depuis 2002 (lutte contre « l’axe du mal ») ; le fait qu’Israël possède l’arme atomique ; la volonté pour les dirigeants iraniens de menacer Israël.
Or la justification quant à la possession par Israël de l’arme nucléaire, n’est pas valable, cette dernière étant une puissance nucléaire depuis quarante ans et ayant amplement démontré, pendant ce laps de temps, le caractère purement dissuasif de son arsenal. La dernière raison est de nature à donner la chair de poule : les déclarations du président Ahmadinedjad visant à faire disparaître l’ « entité sioniste », sur toile de fond de négation de la Shoah. Jacques Chirac pensait que, dans l’hypothèse d’une frappe iranienne, la force nucléaire de l’Etat hébreux suffirait à dissuader toute velléité de menace nucléaire de l’Iran à l’encontre d’Israël ; sur ce point j’estime qu’il avait tort. Les autorités iraniennes, à travers leur bras armé idéologique qu’est le Commandement des gardiens de la révolution (IRGC) ont une longue habitude de l’action indirecte, par le truchement d’organisations ne relevant pas directement de leur autorité : le Hezbollah en est l’exemple le plus achevé dans la durée, mais Téhéran a su aussi susciter des groupes terroristes aux appellations éphémères. Il serait irresponsable de faire comme si ce risque n’existait pas.
L’arme nucléaire a pour vertu stratégique essentielle d’égaliser le rapport de force entre le « faible » et le « fort » (p.ex. la France vis-à-vis de l’ex-URSS, le Pakistan vis-à-vis de l’Inde). Un Iran non nucléaire est bien placé pour exercer son hégémonie dans un golfe Persique composé d’Etats également non nucléaires plus faibles que lui. A l’inverse, un Iran nucléaire n’aura pas les mêmes atouts face à des pays arabes et sunnites disposant eux aussi de l’arme nucléaire. La stratégie du « faible » au « fort » permettrait, toutefois, à l’Iran de contrer la foudre américaine, Washington s’étant assigné l’objectif de se débarrasser du régime des mollahs.
Or la nucléarisation de l’Iran comporterait des conséquences beaucoup plus dramatiques que l’accession d’autres pays à l’arme nucléaire, pour trois raisons : 1) l’Iran porterait la menace nucléaire à travers des groupes terroristes ; 2) l’Iran fondamentaliste est rationnellement moins prévisible que celui du chah ; 3) l’Iran provoquerait une course aux armements nucléaires, notamment dans le monde arabe (Arabie Saoudite, Egypte etc.) et turcophone (Turquie etc.), voire même au niveau planétaire.
Comment réagir ?
Les pressions actuelles du Conseil de sécurité sur l’Iran doivent être poursuivies et accentuées, de même qu’il est important que se poursuive l’isolement financier et économique de ce pays par les grandes puissances industrielles. Il ne faut, cependant, pas se faire d’illusions sur la réussite de cette démarche. D’abord la Russie et la Chine estiment dans leur intérêt de ne pas s’assujettir à des mesures trop contraignantes. Ensuite le blocage à Téhéran entre les centres de pouvoir concurrents ne se prête pas à un revirement aussi radical que serait le refus de l’enrichissement de l’uranium. Et puis, ne nous voilons pas la face : les mollahs (le guide Ali Khameini) et les laïcs (le président Ahmadinejad) chassent sur les mêmes terres, en accord avec la majorité des Iraniens. Certains experts envisagent même l’année 2008 comme l’année fatidique où l’Iran aurait dépassé le seuil de non-retour.
Au cas, probable, où les sanctions ne serviraient à rien, il est illusoire car trop tard de tabler sur une neutralisation de tout le Moyen-Orient. Convenons que les conséquences du non-recours à la force, dans certaines hypothèses, risquent d’être plus dramatiques que l’intervention militaire. Au prix de heurter les pacifistes, il me semble que le recours à la force serait moins calamiteux que l’acceptation du franchissement du seuil nucléaire par l’Iran, suivi par celui d’autres Etats de la région, tout en étant conscient que des frappes aériennes américaines auraient dans un premier temps des conséquences positives peut-être limitées et des effets négatifs majeurs, comme une instabilité accrue de la région. Ces frappes présenteraient au moins l’avantage de différer de plusieurs années ou décennies l’accession de l’Iran au nucléaire militaire et de laisser aux administrations futures le soin de devancer une revanche iranienne.
Les partisans du statu quo feraient bien de se rendre à l’évidence : Dans un monde où l’accès à l’arme nucléaire serait devenu un fait ordinaire, il y a peu de chances d’échapper, dans des conflits complexes, à l’emploi, tôt ou tard, du feu atomique. Dans un système chaotique à acteurs multiples, la dissuasion ne tiendra pas. La référence à Munich qui a servi trop de fois à justifier l’injustifiable n’est, selon moi, pas abusive dans le conflit actuel. La formule de Churchill visant les auteurs des accords de Munich vient ici à l’esprit : « Ils devaient choisir entre la guerre et le déshonneur. Ils ont choisi le déshonneur. Ils auront la guerre. »